Pourquoi le carving en ski n'est pas ce que vous croyez ?
Morgan Petitniot
Article du 05 novembre 2025
Le carving, c’est spectaculaire, fluide, presque hypnotisant.
Mais c’est aussi l’une des sources de confusion les plus courantes dans la progression technique.
Beaucoup de skieurs pensent que c’est une technique à part, un niveau supérieur à atteindre.
En réalité, c’est un choix, pas une nouvelle technique.
Et c’est précisément là que réside le problème.
Je croise beaucoup de skieurs qui veulent “faire du carving” ou “améliorer leur carving”.
C’est normal.
Le carving, c’est beau à voir : élégant, fluide, naturel, presque facile.
Ces grandes courbes tracées dans la neige, la vitesse, la maîtrise… on a tous eu envie d’y arriver un jour.
Et pour beaucoup, c’est devenu un objectif absolu.
Je comprends très bien cette envie, j’ai été ce skieur-là.
Celui qui voulait sentir ses skis tailler dans la neige pour se dire : “Ça y est, j’y suis. Je suis un top skieur.”
Mais ce que j’ai compris avec le temps, c’est que le carving n’est pas une autre technique.
C’est un choix, que l’on peut faire après avoir construit une base solide.
Vouloir y aller trop tôt, c’est comme chercher à lire la fin d’un livre sans avoir compris les chapitres précédents.
Le rêve de “faire comme eux”
Quand on voit ces vidéos sur les réseaux : les skieurs couchés sur la neige, le bassin à quelques centimètres du sol, les skis qui laissent deux traces parfaites, ça fait rêver.
Je me souviens très bien de cette période.
Je passais mes soirées à les regarder, persuadé que si j’arrivais à faire ça, je serais “très bon”.
Et surtout, qu’on le verrait.
J’y suis finalement arrivé, et moi aussi, j'ai mes photos de virages carving couché dans la neige.
Mais la manière dont j’y suis parvenu n’a rien à voir avec ce que j’imaginais.
Je n’y suis pas arrivé en forçant davantage, ni en m’engageant plus fort,
et encore moins en multipliant les descentes avec l'espoir que ça vienne.
Au début, comme beaucoup, j’ai réussi une version du carving… sur piste verte.
La sensation était grisante.
On croit avoir trouvé la clé.
Mais dès que la pente augmentait, tout s’effondrait.
Impossible de contrôler la vitesse.
J'appuyais fort sur mon ski extérieur, je copiais les positions vues en vidéo, j'appliquais les conseils courants pour le carving, rien n’y faisait.
Jusqu’au jour où je me suis retrouvé assis sur le bord d’une piste rouge, vidé.
Le souffle court et cette impression que “ça ne marche pas”.
Frustré, oui. Mais surtout effrayé.
À chaque fin de virage, je sentais que j’allais accélérer encore, incapable de ralentir dans ces grandes courbes.
Je peux vous dire aujourd'hui que ce que je faisais pour y arriver était la voie la moins productive possible.
Et pendant deux saisons, j’ai même abandonné l’idée d’y arriver.
En me contentant d'un bon niveau de carving de piste bleue.
C’est là, paradoxalement, que le vrai chemin a commencé, sans que je m’en rende compte.
Ce jour-là, j’ai compris deux choses :
- Je ne pouvais pas y arriver avec autant de peur.
- Il devait forcément y avoir une logique derrière.
C’est en reconstruisant ma base, pas à pas, sans négliger aucun détail, que tout s’est emboîté.
Et un jour, le carving pur en contrôle sur des pistes plus raides est venu naturellement.
Et ça avait de la gueule !
Ce qu’on ne dit jamais sur le carving
Skier en carving extrême, avec beaucoup d'angle, c’est exigeant techniquement et physiquement.
Pas seulement pour faire le mouvement, mais pour résister aux forces.
C’est une pratique fonctionnelle presque exclusive aux pistes damées ou du moins assez lisses.
Pas du ski qu’on fait six heures de suite : une matinée intense suffit à vous vider.
Le cœur tape, les cuisses brûlent...
C’est spectaculaire, oui.
Mais ce n’est pas ce qui fait un skieur expert, efficace et polyvalent.
On peut aussi en faire sur des pistes un peu plus dégradées mais ça n'est pas vraiment agréable.
Pourquoi ça bloque
Beaucoup de skieurs parviennent à faire “mordre” leurs skis sur une piste douce.
Mais dès que la pente augmente, tout se désorganise.
Ce qui “tenait” sur la verte ne tient plus sur la bleue : les manques ressortent aussitôt.
Le plus trompeur, c’est que sur pente douce, le carving donne l’illusion d’être simple.
On croit qu’il suffit de se pencher à droite pour tourner à droite.
Le peu d’angle qu’on crée en inclinant le corps suffit à faire "tailler" les skis,
et la force centripète nous maintient en équilibre, même avec un poids réparti sur les 2 pieds (ce que je ne vous recommande pas).
Mais sur pente raide, cette logique s’écroule.
Parce qu’on n’a pas encore appris :
- à s’équilibrer sur le ski extérieur, celui qui fait en majorité le virage ;
- à créer l’angle des skis à partir d’une séquence précise de mouvements, d’abord par les pieds, puis en relâchant le corps pour permettre au bassin de se rapprocher de la neige, tout en continuant à basculer les pieds latéralement, la jambe intérieure se fléchissant naturellement ;
- à contrebalancer (CB) avec le haut du corps pour maintenir l’équilibre ;
- à contre-carer (Counteracting) avec le bassin+buste pour gérer l'effet de virage produit par les skis, ce qui nous permet de maintenir aussi l'équilibre et préparer la transition suivante pour une entrée dans la prochaine courbe efficace et sans efforts inutiles;
- et à placer les bras et les bâtons pour soutenir l’équilibre, pas le perturber.
Sans ces fondations, le carving devient vite une lutte.
On se penche, on pousse, on compense.
Et plus la pente augmente, plus elle amplifie chaque erreur.
C’est là que beaucoup ne comprennent pas ce qu’il se passe et ne savent plus comment faire. Ça n'est pas leur faute.
C'est juste un manque de compréhension et de structure.
Ce que j’ai compris ensuite
Le carving n’est pas un “niveau supérieur”.
C’est simplement une autre utilisation des skis.
Les cinq essentiels PMTS ne changent pas :
le basculement des pieds (tipping), la flexion, le contrebalancement (CB), le counteracting (CA) et l’équilibre avant/arrière.
Ce qui change, c’est la façon dont on positionne les pieds et notamment le pied de support à l’intérieur de la chaussure.
Un léger ajustement, une éversion subtile du pied de support qui aligne la chaussure avec la ligne d’équilibre vers le gros orteil et le ski se verrouille dans la neige pour du carving pur.
Pendant ce temps, le pied libre effectue une inversion.
Ce n’est pas un mouvement ajouté, mais une adaptation du même mouvement de base du basculement des pieds.
Je sais, c'est un peu technique et vous n'avez pas besoin de comprendre comment ça marche (je vous le dis juste pour que vous compreniez qu'il y a une logique derrière) mais à ce stade retenez juste que c'est un ajustement des pieds.
C’est très subtil, invisible, et pourtant ça change tout.
Le dérapage latéral disparaît.
Mais les mouvements du corps, eux, restent identiques.
Le rôle du virage brossé-carvé
C'est un virage qui a un peu de dérapage latéral pendant toute la courbe et va moins vite que le carving pur.
En brossé-carvé, vous sentez le ski brosser légèrement latéralement la neige sous vous, sans qu’il parte en travers. Vous contrôlez le point d'équilibre du ski extérieur comme un volume sonore : plus ou moins selon les besoins ou l'envie.
Le point commun de ces deux types de virage c'est l'aspect "carvé", c'est a dire qu'ils utilisent la forme parabolique des skis : les talons suivent le même chemin que les spatules; ils ne chassent pas loin de vous. ni ne pivotent à plat façon essuie-glace.
Le ski travaille pour vous, et non l’inverse.
L’effet principal, identique entre le brossé-carvé et le carving pur, c’est de laisser le ski travailler pour faire la courbe, en vous équilibrant correctement et en exécutant les bons mouvements.
D’ailleurs, dans certains virages courts, vous pourriez croire que c’est du carving alors que c’est du brossé-carvé.
Pourquoi ?
Parce que les skis suivent une courbe sans dérapage grossier des talons et c'est ce détail qui donne l’illusion du carving en tant qu'observateur.
La vérité, c’est que la majorité des très bons skieurs tout-terrain skient avec un virage brossé-carvé.
Ils ne cherchent pas à verrouiller les skis à chaque virage.
Ils contrôlent, adaptent et choisissent selon les besoins.
Ce qu’on entend souvent pour faire du carving… et pourquoi ça n'est pas idéal
Beaucoup de skieurs essaient d’imiter ce qu’ils voient ou d'appliquer ce qu’on leur dit :
“Pousse les genoux dans le virage.”
“Appuie fort sur la languette de la chaussure.”
“Fais de l’angulation.”
Ces conseils partent d’une bonne intention, mais ils ne révèlent pas la logique à exécuter.
“Pousse les genoux dans le virage”, je vous propose plutôt de partir du bas de la chaîne cinétique (du bas vers le haut) le basculement latéral des pieds. Les genoux ne sont pas faits pour créer les mouvements latéraux : ils réagissent, ils ne dirigent pas.
Quand on “pousse les genoux”, on force un effet visible sans créer les mouvements subtil des pieds.
“Appuyer sur la languette”, je vous propose de créer un contact avec l’avant de la chaussure en gardant les pieds sous le bassin. Sinon, on finit par charger la chaussure plutôt que de transmettre avec les pieds les mouvements pour prendre de l’angle avec les skis.
Et “faire de l’angulation”, souvent résumée à incliner le haut du corps latéralement vers le ski de support (ski extérieur). Je préfère expliquer l’ordre des mouvements (pieds puis haut du corps) et les besoins derrière cette exécution.
L’inclinaison du buste nait d’un besoin pour le maintien de l’équilibre qui vient après le basculement latéral des pieds, pas une action déclenchante d’une grande prise d’angle.
En réalité, ce qui compte, ce n’est pas de pousser ou d’appuyer plus fort.
C’est d’exécuter les bons mouvements, dans le bon ordre.
Et quand c’est le cas, tout s'emboite.
Le carving : un choix, pas une destination
Le carving n’est pas une autre technique.
C’est un choix, que vous pouvez faire quand tout est en place : technique, équilibre, conditions, forme physique.
Et c’est grisant.
Mais ce n’est pas une étape obligatoire pour devenir un excellent skieur.
En résumé
Si vous voulez apprendre, améliorer ou perfectionner votre carving, commencez par l’essentiel :
- Apprenez à vous équilibrer sur un ski.
- Basculez les pieds latéralement.
- Coordonnez le haut et le bas du corps avec Contrebalancement et Counteracting.
- Et travaillez vos virages en brossé-carvé.
Quand tout sera en place, le carving deviendra presque naturel.
Vous n’aurez plus qu’à ajuster subtilement vos pieds.
Et même sur une piste bleue vous pourrez aller chercher des angles importants.
Pour aller plus loin :
Si vous voulez comprendre et pratiquer les mouvements qui mènent naturellement au carving, vous pouvez les découvrir sur Skiflix, dans les programmes consacrés aux perfectionnement des virages parallèles et aux mouvements 5 mouvements essentiels PMTS.
